Ce devait être le fameux
Valérian. Je m’empressai de ramasser le livre et le reposai à sa place, les
mains tremblantes.
- Tu l’auras deviné, je
suis Valérian. Me dit-il d’une voix majestueuse. Viens t’asseoir je te prie,
nous devons discuter.
Je m’exécutai, m’asseyant sur
une vulgaire chaise en bois qui, à moins que ma mémoire ne me fasse défaut, ne
s’était pas trouvée là lorsque j’étais entrée dans la pièce.
- Bien. Tu dois avoir
énormément de questions à me poser, j’imagine ?
Ses coudes reposaient sur le
bureau, les mains jointes devant son menton en galoche. Il me regardait
intensément, attendant que ma langue se délie. Il m’impressionnait, et à
nouveau je restai muette devant la créature. Il se leva soudain, souple et
agile, et se dirigea vers la bibliothèque. Il revint quelques secondes plus
tard avec l’épais volume que je tenais dans les mains avant qu’il n’arrive.
- Commençons par ça. Je
suppose que le terme « hybride » t’a posé quelques problèmes ?
- En effet.
Je retrouvai la parole.
J’allai enfin avoir des réponses à mes questions. Ma voix avait été plus sèche
que ce que j’avais souhaité, et j’observai l’individu avec méfiance,
appréhendant sa réaction. Il ne souleva pas mon ton revêche et commença ses
explications par des questionnements.
- A quoi te fis-je
penser ?
Si sa question ne m’étonna
pas, en revanche je craignis de lui dévoiler mes pensées et de l’offenser. Je
réussi tout de même à balbutier :
- A un elfe… ou un
vampire...
J’hésitai encore entre ces
deux créatures, pourtant différentes à l’extrême, que j’avais toujours pensées
imaginaires. Il me toisa de son regard perçant, et sa bouche afficha un rictus,
le même que celui qu’avait affiché Hector quelques minutes auparavant.
- Pour tout t’avouer, je
suis les deux. Ce qui explique le terme « hybride ».
Je m’enfonçai dans ma chaise.
Son apparence ne m’avait donc pas trompée, pourtant je n’arrivai pas à le
croire. Moi, la jeune lycéenne ordinaire, voilà que je me trouvai devant un
être extraordinaire. Comment étais-je arrivée ici déjà ? Et
pourquoi ?
- Il faudra que je pense
à remercier Ethan pour sa rapidité d’exécution. Après tout, ce sera peut-être
plus rapide que prévu…
Je me levai d’un bond,
horrifiée, et me postai derrière la chaise, prête à m’en servir comme bouclier
si besoin était. Allait-il me mordre et boire mon sang, comme le faisaient tous
les vampires ? Il se redressa à son tour, levant les bras en signe
d’apaisement.
- Tout va bien ! me
dit-il. Désolé si je t’ai fait peur. N’ai crainte, je ne te ferai aucun mal.
- Que me voulez-vous
alors ? dis-je d’une voix paniquée.
- Assied-toi, je vais
t’expliquer. Mais il faut que tu cesses de me craindre.
La curiosité pris le pas sur
la peur qui me tétanisait jusque-là. Tout en soutenant son regard, je repris ma
place, plus méfiante que jamais.
- Bien, dit-il en me
regardant d’un air grave, reprenons. La raison pour laquelle tu es ici est…
compliquée. Pour que tu comprennes, il faut que je te raconte mon histoire,
alors écoute bien.
Valérian inspira un grand coup
et ferma les yeux, comme si ce qu’il s’apprêtait à me raconter lui coûtait
énormément.
- Ma mère, Elenna, était une
humaine éperdument amoureuse de mon père, Galdor, et cet amour était réciproque.
Mon père était un elfe, et malgré les réticences de sa famille, il ramena Elenna
ici, à Dankaria, avec la ferme intention de l’épouser. Ils se marièrent donc,
et cinq mois plus tard, je pris place dans le ventre de ma mère. Un jour elle fit
une mauvaise rencontre… Un vampire assoiffé de sang réussit à s’introduire dans
le royaume, et se rua sur elle. Mon père parvint à anéantir le vampire, mais le
mal était fait. Ma mère fut mordue, le venin se répandit dans ses veines… et
dans mon corps à l’état de fœtus. Mes parents ne s’aperçurent pas dès ma
naissance que j’étais un hybride. Personne n’avait jamais été confronté à cette
situation. Je suis né avec l’apparence d’un elfe. Oreilles en pointe, aura pure
et peau lumineuse… Mais rapidement mes traits de vampire se sont développés.
Mes yeux prirent peu à peu une couleur rouge, et mon attirance pour le sang s’éveilla
vivement. Les elfes avaient toléré la présence de ma mère, désormais vampire,
au sein de leur peuple, à condition qu’elle vive recluse dans une petite
chaumière au fond du village. Mon père se refusa de l’abandonner, et c’est en
famille que nous avons vécu mes premières années de vie. Ma mère était un
vampire particulier à cette époque. Si elle avait constamment besoin de sang
pour étancher sa soif, elle savait parfaitement se contrôler en présence
d’humains ou d’autres créatures dont le cœur battait. Si elle savait se
contrôler, en revanche, le jeune hybride que j’étais n’en était pas capable. Un
jour je fis l’horrible erreur de laisser mon côté vampire prendre le dessus… Un
garçonnet qui se voulait courageux s’est approché de moi. L’odeur de son sang
était délicieuse, envoûtante. Je fus porté par mon instinct, et l’ai mordu. Je
l’aurais probablement vidé de son sang si ma mère n’était pas intervenue. En
apprenant la nouvelle, le peuple elfique décida de bannir ma famille, me
jugeant trop dangereux, et nous avons trouvé refuge dans les montagnes de
Shalouk. Quelques années plus tard, une nouvelle famille nous y a rejoints, et
c’est là que j’ai rencontré celle qui deviendrait ma femme, Trinity. Il faut
savoir que les hybrides ont également hérité de l’immortalité des vampires, ce
qui explique qu’à ce jour je sois toujours présent, tout comme ma mère. Mais
nous avons la chance (ou la malchance ?) de pouvoir nous reproduire, comme
les elfes...
Valérian fit une pause dans
son récit, et ses yeux prirent tout à coup une couleur terne. Il ferma les yeux
et soupira. Je n’osai pas bouger. En quoi cela me concernait-il ?
- Les elfes ne nous ont jamais
pardonné, à nous, hybrides, nos faiblesses vampiriques. Certains de notre
espèce ont « dérapé » à plusieurs reprises… Ceux-là ont été détruits
sans délai, mais cela n’a pas suffis à calmer les esprits. Si tu es ici ce
n’est pas un hasard. Tu es l’élue. Les elfes sont aveuglés par la haine et ne
nous laissent aucun répit. Toi seule peux les calmer et leur faire entendre les
nouvelles règles que nous souhaitons adopter pour ne plus commettre pareille
erreur. Leur sang coule en nous. Nous ne sommes pas de simples vampires
assoiffés de sang. Nous avons la force, et le goût du sang des vampires, certes,
mais nous avons hérité notre sagesse et notre physique des elfes. Nous
utilisons des alternatives pour nous nourrir. Seuls quelques hybrides naissent
« anormaux » et n’ont pour obsession que le sang elfique.
Je regardai Valérian, mon
visage ne laissant paraitre aucun sentiment. En fait, j’essayai d’encaisser la
nouvelle de ces révélations. Toutes ces histoires d’elfes et d’hybrides me
dépassaient. Je ne me sentais pas concernée, c’était leurs histoires, pas les
miennes. Malgré tout, une colère insoupçonnée commençait à s’emparer de moi.
- Voilà un bref exposé de
la situation Abigaïl… Il faut que tu nous aides, enfin, si tu acceptes.
- Mais pourquoi vous
aiderai-je vous, au lieu de les soutenir, eux ? Vous avez une part
maléfique en vous. Eux ne sont que les victimes d’un fardeau qu’ils n’ont pas
choisi !
Ma colère explosait, je ne
savais pour quelle raison. Je n’étais ni elfe, ni hybride. Je n’avais pas à
prendre partit pour l’une ou l’autre espèce. Je voulais juste rentrer chez moi,
et oublier tout ça. Valérian me dévisagea, surpris.
- Je ne pensais pas que
ce côté-là ferait surface si tôt. dit-il plus pour lui-même que pour moi.
- De quoi
parlez-vous ?
- Abigaïl, n’as-tu pas
entendue ce que je t’ai annoncé tout à l’heure ? Tu es l’élue !
Je le fixai, incrédule.
- La prophétie annonçait
notre existence, la guerre entre les elfes et les hybrides, et la venue au
monde d’une jeune fille, hybride elle aussi, destinée à réconcilier les deux
clans… En cas d’échec, nous mourrons tous… Nous finirons par nous entre-tuer
parce qu’incompris, et Dankaria sera à la merci des úmea.
Tes parents n’étaient que des leurres… Tes vrais
parents sont décédés à ta naissance. Détruits, serait le terme plus exact. Nous
avons réussi à te sauver, et nous t’avons protégée en te confiant à une famille
humaine. Tu devais conserver l’ignorance de ta véritable identité. Sans cela ils t’auraient retrouvé et t’auraient
détruite également. Bien sûr nous av…
- Attendez !
Je secouai la tête pour
chasser le nouvel accès de stupeur qui menaçait de s’emparer de moi. Mon
cerveau fonctionnait enfin à plein régime. Tout allait trop vite, et quelque
chose pris possession de mon esprit.
- Comment ça
hybride ? m’emportai-je. Je ne suis pas une… une… chose comme vous ! Je ne bois pas de
sang ! m’écriai-je, horrifiée.
Les explications de Valérian
s’emblaient s’assembler comme un puzzle dans ma tête et je me fis rapidement un
schéma mental de la naissance des hybrides. Puis, retrouvant ma capacité de réflexion, je
regardai mon hôte avec vigilance. Si j’avais eu le pouvoir de le fusiller du
regard je l’aurai fait. C’est alors que son bureau s’enflamma. Un cri strident
retenti, mon cri, et je reculai près de la fenêtre. Valérian éteignit les
flammes d’un banal revers de main, sous mon visage déconcerté. Il avait
conservé son calme le temps d’éteindre l’incendie, mais à présent je le sentais
furieux. Il posa enfin son regard brulant sur moi, et marmonna des paroles que
je ne compris pas. Il était plus enragé que jamais. J’avais beau murmurer que
j’étais désolée, même si je n’y étais pour rien (n’était-ce pas ?), sa
colère ne diminuait pas. Elle emplissait à mesure qu’il se rapprochait de moi.
Je n’avais aucun endroit où me réfugier, je savais qu’il me rattraperait. Je
fermai les yeux, résignée, attendant ma mort et priant pour qu’elle soit rapide
et sans douleur, lorsque j’entendis une porte s’ouvrir à la volée. Arrivant
avec une vitesse stupéfiante, Ethan se plaça devant moi, bras écartés pour me
protéger de l’hybride, et émit un grognement sourd. Valérian était effrayant,
ses yeux rouges avaient repris leur intensité et il grogna à son tour à
l’arrivée de mon sauveur.
- Laisse la tranquille,
Valérian.
Il n’y avait pas la moindre
trace de peur dans l’intonation d’Ethan. Au contraire, elle se voulait menaçante.
- Valérian… insista
Ethan.
- Tu ne devrais pas être
ici. déclara l’hybride d’une voix douteuse.
- Tu ne m’as pas laissé
le choix. Et rappelle-toi, tu as juré de ne pas t’emporter. Tu savais qu’elle
risquait de mal réagir !
Valérian abandonna sa posture
d’attaque, et après m’avoir lancé un regard dégouté, retourna s’asseoir
derrière son bureau.
- Très bien. Emmène-la.
Je pensais effectivement qu’elle aurait une réaction de ce genre, mais pour
autant je ne suis plus en mesure de lui parler sans avoir envie de la tuer.
Explique-lui pour ses parents humains et... dis-lui qui elle est en réalité.
Elle ne m’a pas laissé le temps de terminer.
Sans attendre, Ethan m’attrapa
le bras et m’entraina dans ce couloir sombre que je détestai tant. Nous retrouvâmes
rapidement le hall, après avoir descendu l’escalier de marbre. Mon cerveau
était engourdi. Je n’avais qu’une hâte : qu’Ethan m’explique ENFIN ce que
je faisais en ces lieux si terrifiants et hostiles. Tandis qu’il ouvrait la
porte en chêne sans aucune difficulté malgré sa taille imposante, je jetai un
coup d’œil à l’extérieur. C’était le déluge ! Je fus surprise de voir la
foudre exploser à quelques mètres de nous.
- On ne va quand même pas
sortir par ce temps-là ?
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