Ethan m’ouvrit la porte et je
découvris alors une forêt différente de celle que j’avais vu la veille. Le vert
des arbres me semblait soudain plus vif, plus beau, et je pouvais voir à présent la moindre petite nervure de chaque feuille, de l’endroit où je me trouvais. Je
pouvais enfin visualiser tous les détails qui m’avaient échappés lorsque je n’étais
encore qu’une hybride dépourvue de ses facultés. Ma vue et mon ouïe s’étaient donc aiguisées,
c’était une certitude. Mais si ces brusques changements me fascinaient, ma
gorge brûlante se chargea de me rappeler à l’ordre. Ethan et Nómin sortirent à
leur tour de la cabane, et j’attendis avec impatience le moment où le feu de
ma gorge s’estomperait. Les deux hommes se lancèrent un regard et à nouveau l’elfe
ouvrit son sac pour en sortir une seconde fiole. Dans celle-ci reposait un doux
fluide rouge. Du sang, à en juger par l’odeur qui en émanait. Le sage me tendit
la fiole et je n’eus cette fois aucune appréhension à boire le breuvage, même
si je doutais pouvoir être rassasiée avec une si petite quantité. J’aurai
largement préféré goûter au sang sucré du vieil homme, mais il était notre ami
et Ethan m’aurait de toute façon empêché de le toucher. Résignée, je vidai la
fiole en deux rapides gorgées. A ma grande surprise, le feu se dissipa aussitôt
de mon œsophage et le vieillard me sourit.
- Ca va mieux ? me
demanda-t-il.
- Oui ! Mais je pensais
avoir besoin d’un corps entier pour… enfin pour…
- J’ai compris, me coupa Nómin.
Honteuse, je regardai le sol.
- Bien, au travail, les effets
de Ninglor s’estompent plus vite que le véritable sang. Ne perdons pas de
temps.
Ninglor ? Je voulus
demander au vieux mage ce qu’il m’avait donné à la place d’un délicieux vrai sang,
mais Ethan me retint. La priorité n’était plus là. Nómin m’observa quelques
secondes, attendant que je me calme avant de m’adresser la parole.
- Bon, il te faut commencer
quelque part. Ferme les yeux et concentre-toi sur ton corps. Dis-moi ce que tu
ressens.
Bien qu’encore agacée, j’obéis.
Je fermai donc mes paupières et me concentrai sur mes sensations. Je me sentais
forte, invincible. Je pouvais sentir les fragrances qui se dégageaient des deux
personnes qui attendaient patiemment à côté de moi. Mon frère fleurait bon la
menthe et je sentais aussi une autre odeur que je n’arrivais pas à identifier.
Quant à Nómin, il sentait un impressionnant mélange de fleurs. Je parvins à
identifier la rose et l’iris. Le reste m’était aussi étranger que la seconde
odeur qui provenait d’Ethan.
- « Plus loin… laisse les
odeurs. Que ressens-tu ? »
Nómin avait encore pénétré mon
esprit. Je me surpris à gronder pour le chasser de ma tête. De nouveau seule
avec moi-même, je repris mon inspection. Je sentais mes poumons s’ouvrir et se
fermer à chacune de mes respirations. Puis,
je l’entendis. Ce tam-tam régulier tellement familier. Il ne venait pas de l’elfe.
Celui-là venait de mon propre corps. Mon cœur battait toujours ! Je rouvris les
yeux, perplexe. Je savais qu’Ethan et Nómin avaient suivi mon cheminement, et ne
fus donc pas surprise de voir leur réaction amusée.
- Encore un signe distinctif
des hybrides, Abby ! m’apprit mon frère. Nous avons besoin de respirer et
notre cœur bat. Concrètement, nous sommes plus vivants que morts.
- C’est ce que je vois, oui.
Mais qu’avons-nous en commun avec les vampires hormis le besoin de sang ?
- La vitesse et la force.
Tiens, déracine cet arbre là-bas. Tu verras par toi-même.
Je ris à la blague de mon
frère, mais lui garda un visage impassible. Etait-il sérieux ? Je voulais bien croire en
la puissance des vampires, mais je doutais très sérieusement être capable de déraciner
un des rois de la forêt.
- Vas-y ! m’incita-t-il.
Je m’avançai alors prudemment
d’un magnifique chêne dont le tronc n’était pas trop imposant. Je passai mes
bras autour et tout en fermant les yeux, je soulevai l’arbre, m'attendant à forcer pour ne provoquer que l'hilarité de mon public. Mais j’eu l’impression
d’arracher un brin d’herbe. L’arbre me paraissait ridiculement léger et derrière
moi retentissaient les rires d’Ethan et de Nómin. Délicatement, je reposai l’arbre
à sa place et époussetai mes vêtements couverts de terre et de petites
branches. Je revenais vers eux en riant lorsqu’un étrange bruit me parvint au
loin. Je me figeai, dans une position semblable à celle de mon frère qui avait
sûrement entendu la même chose que moi, et tendis l’oreille. Quelques secondes
s’écoulèrent et à nouveau, ce son. Un hennissement. Ethan se tourna vers Nómin,
à la fois furieux et paniqué.
- Je croyais que personne ne t’avais suivi !
Le vieux sage parut
déboussolé.
- Je le croyais aussi !
se défendit-il.
Nómin recula de quelques pas
devant la soudaine rage de mon frère. J’assistais à la scène sans savoir quoi
faire. J’imaginais que c’était les elfes qui approchaient et je commençais à m’affoler.
- Ethan qu’est-ce qu’on fait ?
Ethan !
Mon frère consentit enfin à
lâcher Nómin des yeux et repartit à l’intérieur de la cabane. Il en sortit
quelques secondes plus tard, chargé d’un énorme sac à dos.
- C’est quoi tout ça ?
- Viens, me dit-il sans
répondre à ma question.
- Mais… Nómin ? On ne va
pas l’abandonner ici !
- Ne t’en fais pas. Il sait ce
qu’il doit faire. Dépêche-toi, ils approchent.
A ces mots, Ethan courût droit
devant lui sans un dernier regard pour le sage, et, d’un bond, je l’imitai. Mes
jambes me portèrent sans difficultés, et j’eu l’impression de voler au-dessus
du sol tellement j’étais rapide. Je n’avais aucun problème pour éviter les
arbres et obstacles en tout genre qui jalonnaient la forêt. Nous devions être revenus en territoire
hybride à présent. Les elfes ne viendraient probablement pas nous chercher ici.
Pourtant Ethan continuait sa course, infatigable. Enfin, il s’arrêta, et je fis
de même quelques mètres plus loin. J’avais beau être essoufflée, je n’étais pas
fatiguée pour autant. C’était une sensation étrange, une véritable bouffée d’adrénaline
que je n’avais jamais connu jusque-là. Sur ses gardes, Ethan tendit un bras
pour m’intimer de ne plus bouger. Attentifs, nous écoutions la forêt. Je n’entendais
rien d’autre que le chant des oiseaux.
- C’est bon. Ils ne nous
poursuivent plus. Mais ils savent que tu es là. Ils vont nous chercher
maintenant… On ne peut plus retourner à la cabane, il nous faut trouver un
autre refuge.
Ethan semblait s’adresser plus
à lui-même qu’à moi. Je le regardais marcher de long en large sur le petit sentier
où nous étions, et j'attendais qu’il prenne une décision.
- Même pas eu le temps de t’apprendre…
se débrouiller seuls ! maugréa-t-il en serrant les dents.
- Arrête de râler ! l’interrompis-je.
Tu as une idée d’où nous pouvons aller ?
- Pas encore, admit mon frère.
Il n’y a qu’au château de Valérian que tu serais en sécurité, au moins le temps
que je t’apprenne certaines choses.
La perspective de revoir cet
odieux hybride me fit frissonner. Hors de question de retourner là-bas ! Ethan
étouffa un rire discret.
- Je me suis douté que ça ne
te plairait pas, mais c’est la seule solution envisageable. Nous sommes trop
repérable ici.
- Mais les elfes ne viennent
pas sur le territoire des hybrides, si ?
- Non. Ici ce ne sont pas des
elfes dont il faut avoir peur, mais des úmea.
Je me rappelais vaguement que
Valérian les avait mentionnés, mais je ne savais pas qui ils étaient. Ethan me
laissait réfléchir. Choisir entre le danger que représentaient ces úmea ou la sécurité du château de
Valérian… Je poussai un profond soupir, et donnai ma réponse.