27 juil. 2012

Chapitre 7 : Décision


Ethan m’ouvrit la porte et je découvris alors une forêt différente de celle que j’avais vu la veille. Le vert des arbres me semblait soudain plus vif, plus beau, et je pouvais voir à présent la moindre petite nervure de chaque feuille, de l’endroit où je me trouvais. Je pouvais enfin visualiser tous les détails qui m’avaient échappés lorsque je n’étais encore qu’une hybride dépourvue de ses facultés.  Ma vue et mon ouïe s’étaient donc aiguisées, c’était une certitude. Mais si ces brusques changements me fascinaient, ma gorge brûlante se chargea de me rappeler à l’ordre. Ethan et Nómin sortirent à leur tour de la cabane, et j’attendis avec impatience le moment où le feu de ma gorge s’estomperait. Les deux hommes se lancèrent un regard et à nouveau l’elfe ouvrit son sac pour en sortir une seconde fiole. Dans celle-ci reposait un doux fluide rouge. Du sang, à en juger par l’odeur qui en émanait. Le sage me tendit la fiole et je n’eus cette fois aucune appréhension à boire le breuvage, même si je doutais pouvoir être rassasiée avec une si petite quantité. J’aurai largement préféré goûter au sang sucré du vieil homme, mais il était notre ami et Ethan m’aurait de toute façon empêché de le toucher. Résignée, je vidai la fiole en deux rapides gorgées. A ma grande surprise, le feu se dissipa aussitôt de mon œsophage et le vieillard me sourit.

- Ca va mieux ? me demanda-t-il.

- Oui ! Mais je pensais avoir besoin d’un corps entier pour… enfin pour…

- J’ai compris, me coupa Nómin.

Honteuse, je regardai le sol.

- Bien, au travail, les effets de Ninglor s’estompent plus vite que le véritable sang. Ne perdons pas de temps.

Ninglor ? Je voulus demander au vieux mage ce qu’il m’avait donné à la place d’un délicieux vrai sang, mais Ethan me retint. La priorité n’était plus là. Nómin m’observa quelques secondes, attendant que je me calme avant de m’adresser la parole.

- Bon, il te faut commencer quelque part. Ferme les yeux et concentre-toi sur ton corps. Dis-moi ce que tu ressens.

Bien qu’encore agacée, j’obéis. Je fermai donc mes paupières et me concentrai sur mes sensations. Je me sentais forte, invincible. Je pouvais sentir les fragrances qui se dégageaient des deux personnes qui attendaient patiemment à côté de moi. Mon frère fleurait bon la menthe et je sentais aussi une autre odeur que je n’arrivais pas à identifier. Quant à Nómin, il sentait un impressionnant mélange de fleurs. Je parvins à identifier la rose et l’iris. Le reste m’était aussi étranger que la seconde odeur qui provenait d’Ethan.

- « Plus loin… laisse les odeurs. Que ressens-tu ? »

Nómin avait encore pénétré mon esprit. Je me surpris à gronder pour le chasser de ma tête. De nouveau seule avec moi-même, je repris mon inspection. Je sentais mes poumons s’ouvrir et se fermer à chacune de mes respirations.  Puis, je l’entendis. Ce tam-tam régulier tellement familier. Il ne venait pas de l’elfe. Celui-là venait de mon propre corps. Mon cœur battait toujours ! Je rouvris les yeux, perplexe. Je savais qu’Ethan et Nómin avaient suivi mon cheminement, et ne fus donc pas surprise de voir leur réaction amusée.

- Encore un signe distinctif des hybrides, Abby ! m’apprit mon frère. Nous avons besoin de respirer et notre cœur bat. Concrètement, nous sommes plus vivants que morts.

- C’est ce que je vois, oui. Mais qu’avons-nous en commun avec les vampires hormis le besoin de sang ?

- La vitesse et la force. Tiens, déracine cet arbre là-bas. Tu verras par toi-même.

Je ris à la blague de mon frère, mais lui garda un visage impassible. Etait-il sérieux ? Je voulais bien croire en la puissance des vampires, mais je doutais très sérieusement être capable de déraciner un des rois de la forêt.

- Vas-y ! m’incita-t-il.

Je m’avançai alors prudemment d’un magnifique chêne dont le tronc n’était pas trop imposant. Je passai mes bras autour et tout en fermant les yeux, je soulevai l’arbre, m'attendant à forcer pour ne provoquer que l'hilarité de mon public. Mais j’eu l’impression d’arracher un brin d’herbe. L’arbre me paraissait ridiculement léger et derrière moi retentissaient les rires d’Ethan et de Nómin. Délicatement, je reposai l’arbre à sa place et époussetai mes vêtements couverts de terre et de petites branches. Je revenais vers eux en riant lorsqu’un étrange bruit me parvint au loin. Je me figeai, dans une position semblable à celle de mon frère qui avait sûrement entendu la même chose que moi, et tendis l’oreille. Quelques secondes s’écoulèrent et à nouveau, ce son. Un hennissement. Ethan se tourna vers Nómin, à la fois furieux et paniqué.

 - Je croyais que personne ne t’avais suivi !

Le vieux sage parut déboussolé. 

- Je le croyais aussi ! se défendit-il.

Nómin recula de quelques pas devant la soudaine rage de mon frère. J’assistais à la scène sans savoir quoi faire. J’imaginais que c’était les elfes qui approchaient et je commençais à m’affoler.

- Ethan qu’est-ce qu’on fait ? Ethan !

Mon frère consentit enfin à lâcher Nómin des yeux et repartit à l’intérieur de la cabane. Il en sortit quelques secondes plus tard, chargé d’un énorme sac à dos.

- C’est quoi tout ça ?

- Viens, me dit-il sans répondre à ma question.

- Mais… Nómin ? On ne va pas l’abandonner ici !

- Ne t’en fais pas. Il sait ce qu’il doit faire. Dépêche-toi, ils approchent.

A ces mots, Ethan courût droit devant lui sans un dernier regard pour le sage, et, d’un bond, je l’imitai. Mes jambes me portèrent sans difficultés, et j’eu l’impression de voler au-dessus du sol tellement j’étais rapide. Je n’avais aucun problème pour éviter les arbres et obstacles en tout genre qui jalonnaient la forêt.  Nous devions être revenus en territoire hybride à présent. Les elfes ne viendraient probablement pas nous chercher ici. Pourtant Ethan continuait sa course, infatigable. Enfin, il s’arrêta, et je fis de même quelques mètres plus loin. J’avais beau être essoufflée, je n’étais pas fatiguée pour autant. C’était une sensation étrange, une véritable bouffée d’adrénaline que je n’avais jamais connu jusque-là. Sur ses gardes, Ethan tendit un bras pour m’intimer de ne plus bouger. Attentifs, nous écoutions la forêt. Je n’entendais rien d’autre que le chant des oiseaux.   

- C’est bon. Ils ne nous poursuivent plus. Mais ils savent que tu es là. Ils vont nous chercher maintenant… On ne peut plus retourner à la cabane, il nous faut trouver un autre refuge.

Ethan semblait s’adresser plus à lui-même qu’à moi. Je le regardais marcher de long en large sur le petit sentier où nous étions, et j'attendais qu’il prenne une décision.

- Même pas eu le temps de t’apprendre… se débrouiller seuls ! maugréa-t-il en serrant les dents.

- Arrête de râler ! l’interrompis-je. Tu as une idée d’où nous pouvons aller ?

- Pas encore, admit mon frère. Il n’y a qu’au château de Valérian que tu serais en sécurité, au moins le temps que je t’apprenne certaines choses.

La perspective de revoir cet odieux hybride me fit frissonner. Hors de question de retourner là-bas ! Ethan étouffa un rire discret.

- Je me suis douté que ça ne te plairait pas, mais c’est la seule solution envisageable. Nous sommes trop repérable ici.

- Mais les elfes ne viennent pas sur le territoire des hybrides, si ?

- Non. Ici ce ne sont pas des elfes dont il faut avoir peur, mais des úmea.

Je me rappelais vaguement que Valérian les avait mentionnés, mais je ne savais pas qui ils étaient. Ethan me laissait réfléchir. Choisir entre le danger que représentaient ces úmea ou la sécurité du château de Valérian… Je poussai un profond soupir, et donnai ma réponse.

- Ok… Va pour Valérian. Si nous n’avons pas le choix… 

Chapitre 6 : Transformation


Ce fut une caresse glacée qui me réveilla brusquement. Ethan se tenait devant moi, l’air soucieux.

- Excuse-moi. Je ne voulais pas te faire peur… Il faut que tu te lèves. Nómin va arriver dans quelques minutes, mais je voudrais que tu manges un peu avant de commencer l’entraînement.

Parfaitement réveillée, je me jetai hors du lit et dévorai le petit déjeuner qu’Ethan m’avait préparé. Le soleil commençait lentement à se lever et les oiseaux chantaient dans la forêt fantastique. Je finissais de boire la dernière goutte de mon thé lorsque le même coup sec que la veille cogna contre la porte. Nómin, à n’en pas douter. Un peu nerveux, mon frère alla ouvrir à son ami. Le vieux sage portait une grosse besace en cuir marron. D’une main protectrice, il semblait vouloir en dissimuler le contenu.

- Bonjour, dit-il d’une petite voix.

Après les salutations, Ethan proposa à l’elfe de s’assoir mais ce dernier refusa poliment.

- Je préférerais qu’on s’y mette rapidement. Elle a beaucoup à apprendre.

Je me tortillai sur ma chaise, stressée face à ce qui m’attendait. D’un léger mouvement, Nómin ouvrit le rabat de son sac et en sortit une fiole qu’il me tendit ensuite. Le récipient était rempli d’un liquide épais, bleuté. Le dégout s’afficha sur mon visage et je lançai un regard interrogateur au vieil elfe.

- Bois. Tu comprendras très vite ce que c’est.

Ce mystère me rendit curieuse. Je débouchonnai alors le petit tube de cristal et après une brève hésitation, le portait à ma bouche. Lorsque le liquide se déposa sur ma langue, j’eu l’impression d’avaler un énorme piment. Mon corps fut parcouru de frissons et je me mis à tousser. Je voulus rejeter la mixture, mais mes lèvres semblèrent soudain scellées. Je tombai à genoux avec l’horrible sensation d’étouffer. Etait-ce déjà la fin ? MA fin ? Nómin nous avait-il trahis ? A côté de moi, j’entendais Ethan hurler contre l’elfe, affolé comme jamais. Je manquais d’air et ma bouche refusait toujours de s’ouvrir. Mon corps entier s’affala sur le sol. Le liquide qui se répandait dans mon corps était froid, douloureux. Malgré tout, je restai consciente de ce qui m’arrivait et je pouvais sentir les modifications que ce poison m’apportait. Dans mes yeux, mes oreilles, et plus profondément encore que je ne pourrais l’exprimer. Je compris ce qu'avait voulu dire Nómin... Puis, soudain, ce fut terminé. Mes muscles se relâchèrent un à un, et je me sentis mieux malgré le manque d’oxygène. Au moins, la douleur avait disparue… Ethan s’agenouilla rapidement près de moi, des larmes couvrant son visage inquiet. Je n’avais plus la force de bouger et ma vue s’était troublée, recouverte d’un fin voile blanc. Tout à coup, mes lèvres se détachèrent l’une de l’autre, et je pus inspirer de grandes goulées d’air. Mon corps reprit vie. Je recouvris peu à peu la vue, et fus surprise de constater que tout me paraissait plus clair. Hébétée, je ne bougeais toujours pas. Je me sentais… bizarre. Divers sons inconnus parvinrent ensuite à mes oreilles. Des bruits sourds, rapides mais réguliers. Je tournai alors la tête vers l’elfe et je compris. J’entendais son cœur battre dans sa poitrine ! A mon expression, mon frère et lui saisirent ce que je venais de percevoir.

- Nómin, qu’est-ce que tu lui as fait ? demanda mon frère, choqué.

- J’ai accéléré le processus. Nous ne pouvions nous permettre d’attendre qu’elle recouvre ses facultés d’elle-même, ça aurait été trop long.

Avec l’aide d’Ethan je me relevai lentement.

- Comment tu te sens ?

- Ca va. Je suis juste un peu étourdie. Je capte tellement de bruits, ça me déboussole.

Ethan sourit. Lui aussi entendait tous ces sons ? Avec prudence, je me déplaçai dans la cabane, mes pas plus fluides que d’ordinaire. Je ressentais une étrange sensation de légèreté. Je vis Nómin fouiller à nouveau sa besace et en sortir un miroir circulaire bordé de fines inscriptions. Il le posa sur la table et je m’en emparai avec une certaine appréhension. Je remarquai immédiatement ma peau plus blanche et mes oreilles où se dressait à présent une petite pointe à chaque extrémité. Mais le changement le plus surprenant et déroutant venait de mes yeux. Ils n’étaient pas dorés comme ceux de mon frère. Les miens étaient rouge foncé. Levant la tête, je découvris l’elfe et mon frère postés en retrait. Ils m’observaient en silence. Surement voulaient-ils ne pas me déranger… Je n’arrivais pas à quitter mon reflet du miroir. C’était donc à ça que je ressemblais réellement ? Mes cheveux aussi s’étaient modifiés. Ils avaient gardé leur couleur chocolat mais ils étaient à présent disciplinés, et tombaient en d’élégantes boucles le long de mon visage. Je me trouvais magnifiquement terrifiante… Malheureusement pour moi, le feu reprit, dans ma gorge cette fois, et je compris. J’avais soif. C’est à ce moment-là que Nómin se racla la gorge pour m’interpeller. Il hocha la tête en me voyant porter une main à mon cou. Le moment était venu de passer aux choses sérieuses. 

24 juil. 2012

Chapitre 5 : Famille et ami


Ethan réussit à me calmer. Mon cœur battit de nouveau de manière régulière, et cessa de tambouriner douloureusement dans ma poitrine. Ethan était mon frère… Je devais me faire à cette idée. Nous passâmes le reste de la journée à parler de lui, de moi, de son enfance dans ce monde auquel j’appartenais finalement, de mon enfance dans un monde où je m’étais toujours sentie à part. Si de mon côté j’avais été choyée par mes parents adoptifs, de son côté, mon frère avait nettement moins profité d’une jeunesse heureuse. Elevé d’abord par Valérian qui le considéra comme son propre fils, Ethan fut chassé du château lorsqu’il décida d’enfreindre le règlement et de me filer, pour surveiller le moindre de mes faits et gestes et faire en sorte qu’il ne m’arrive rien. Valérian prit cette rébellion pour une trahison, et coupa tout contact entre eux.

Ethan et moi étions à présent assis confortablement dans les rocking-chairs, une tasse de thé fumant entre nos mains, et mon frère me racontait comment il avait rencontré Nómin, le sage du peuple elfique.

- C’était au mois de novembre il me semble, la neige recouvrait déjà la forêt. Je venais de trouver cette cabane abandonnée. Un coup de chance. J’avais froid et très soif. Je comptais m’abriter ici pour la nuit, après avoir bu le sang d’un lapin qui passait par là, et retourner à ta surveillance dès le lendemain matin. J’avais à peine poussé la porte que ce vieux barbu de Nómin me plaquait au sol, la pointe d’un glaive posée contre mon cœur. Je n’avais pas vu que j’avais quitté le territoire des hybrides… J’ai eu beaucoup de mal à le calmer et à me faire entendre. Il me regardait avec des yeux exorbités, comme si j'avais été un monstre ! C'est vrai, j'aurai pu le tuer si j’avais voulu, il était bien moins fort que moi, mais je ne voulais pas me faire d’ennemi, et ce vieillard ne m’avait rien fait, du moins pas avant ce moment-là. Il s’est quand même décidé à me lâcher quand je lui ai appris mon prénom. Il m’a dit « je sais qui tu es ! », et après m’avoir aidé à me lever, il m’a raconté la prophétie… Celle dont Valérian t’a sûrement parlé.

J’acquiesçai d’un mouvement de tête, le regard fixé sur une petite bougie disposée près de la fenêtre. Sa flamme vacillait, m’hypnotisant lentement.

- C’est donc Nómin qui t’as autorisé à t’installer sur le territoire elfique ? demandais-je.

- Oui, il a voulu m’aider. Il a fait en sorte qu’aucun elfe ne vienne dans cette partie de la forêt. Je ne sais pas comment il s’y est pris, mais je n’ai jamais croisé personne. Nómin savait qu’un jour tu reviendrais ici, et que ce jour-là il nous faudrait un endroit où nous réfugier en cas de problème. Et des problèmes, nous risquons d’en avoir…

Je lâchai la bougie des yeux, posant brusquement ma vision sur mon frère. 

- Quel genre de problèmes ? Les elfes ?

Ethan hocha la tête sans ajouter un mot. Puis il se leva, et se dirigea vers le fond de la pièce. Il s’agenouilla au pied du lit, et sortit une grosse malle de sous la couche. J’observai mon frère en silence. Son corps se raidit, il sembla mal à l’aise. Il ouvrit alors le coffre, et fouilla dedans quelques secondes avant d’en sortir un cadre. Sûrement une photo. Il revint ensuite vers moi, et me tendit le cliché. En découvrant les visages sur la photographie, je retins un cri de stupeur. Ethan reprit sa place sur son fauteuil et se frotta le visage de ses mains.

- Ethan, ce sont nos… parents ?

Il me sourit. Je posai à nouveau mes yeux sur mes parents, figés à tout jamais sur une image.

- Facile de deviner à qui tu ressembles, pas vrai ?

Je caressai le papier glacé du bout du doigt tout en retenant les larmes qui menaçaient d’inonder mon visage. J’étais la réplique exacte de ma mère.

- C’est pour cette raison que nous risquons d’avoir des problèmes. Les elfes connaissent la prophétie. Ils ont connu nos parents. Ils te reconnaitront…

J’allai répondre lorsqu’un coup sec frappa contre la porte de la cabane. Mon corps fut parcouru d’un frisson et je me senti tout à coup étourdie. Ethan se leva à la vitesse de l’éclair, et posa une main rassurante sur mon épaule.

- Pas de panique, ce n’est que Nómin. Je l’ai prévenu de ta présence. C’est le seul en qui nous puissions avoir confiance. Entre Nómin !

La porte s’ouvrit et laissa apparaître un vieil homme de grande taille, portant une simple toge claire. Sa longue barbe blanche lui arrivait à la taille, et ses yeux bleus, quant à eux, étaient bordés de petites ridules qui rendaient son visage bienveillant.

- Bien le bonsoir, jeunes gens !

Nómin salua mon frère d’un signe de tête, et se dirigea directement vers moi. Il m’attrapa la main et le contact de sa peau douce et chaude m’apaisa immédiatement.

- Abigaïl… Tu es tout le portrait de ta mère. C’est impressionnant…

Ethan rapprocha le fauteuil du vieux sage, et l’invita à s’assoir. Je ne lâchai pas Nómin des yeux. Lui, semblait pris dans une profonde réflexion. Etrange approche. Son visage se crispa soudain. Il ferma les yeux, et murmura rapidement des paroles toutes plus confuses les unes que les autres.

- Euh… Nómin ? Est-ce que ça va ?

Il ne réagit pas. J’attendis alors, anxieuse, qu’il reprenne ses esprits.  Ethan était à mes côtés, l’air grave. Je l’interrogeai du regard, mais n’obtins aucune réponse. Nómin lâcha finalement ma main et tourna son regard pour ne s’adresser qu’à mon frère. Ils semblaient échanger à travers leur esprit, m’isolant totalement de la conversation. Leur discussion dura de longues minutes pendant lesquelles j'observais tour à tour les deux individus. Cet entretien semi-privé me dérangeait au plus haut point. Je détestais que l'on me cache des choses. Stressée, je ne pus me retenir plus longtemps et rompis le silence.

- Quoi ? Qu’est ce qui se passe ?

Ethan me jeta un coup d’œil discret et, gêné, se leva pour me tourner le dos.

- Abby, j’espère que tu apprends vite, parce que nous n’avons pas beaucoup de temps.

Je ne compris pas. De quoi parlait-il ? Des elfes encore ? Ou d'autre chose ?

- Oublie les elfes. Il va falloir que tu te concentres sur ton apprentissage. Tu es une hybride, mais tu as tout à apprendre, on commence demain matin. Ce soir, tu te reposes. Demain, dès l’aube, Nómin reviendra pour t’apprendre les bases.

Ethan débitait ces mots en faisant les cent pas dans l’unique pièce de la maison. Je voulu lui parler, mais le sage posa sa main sur mon bras pour me dissuader d’interrompre mon frère.

- « Laisse-lui un peu de temps, il t’expliquera tout plus tard. »

Je poussai un cri. Je venais d’entendre la voix du vieillard dans ma tête. C’était une sensation bizarre, comme s’il venait de prendre possession de mon esprit, sans me demander mon avis.

- Comment faites-vous ça ? lui demandais-je à la fois curieuse et troublée.

- Je te l’apprendrai bien assez tôt, mon enfant. Je dois y aller, je ne suis venu que pour informer Ethan de certaines choses et te rencontrer enfin. Je serai de retour demain. Reposez-vous bien, un entraînement intensif nous attend.

Nómin se dirigea vers la sortie et après un dernier « au revoir » il disparut dans la nuit noire. Ethan verrouilla la porte derrière son ami, et se saisit de sa tasse de thé (froid) qu’il descendit d’un trait. Puis il retourna près du lit, sortit une couverture de sa malle encore ouverte, et me fit signe de le rejoindre.

- Essaye de dormir profondément. Tu vas avoir besoin de beaucoup d’énergie demain…

Il m’embrassa sur le front et s’assit sur le bord du lit pendant que je m’installai sous les couvertures. Ethan avait manifestement décidé de veiller sur moi, jusque dans mon sommeil. Mon cerveau croulait sous les questions que je mourrais d’envie de lui poser. Il y en avait tant…

- Alors commence par celles qui te viennent.

Il recommençait à pénétrer dans mon esprit, je n’étais pas vraiment contente de me sentir ainsi « violée » dans ma propre tête, et je poussai un soupir exaspéré.

- Pardon… Mais j’ai moi aussi beaucoup de questions, et après avoir passé tout ce temps loin de toi, je ne veux pas en perdre une miette. Cela dit, tu seras bientôt capable de fermer ton esprit à toute intrusion… Enfin, vas-y, qu’est-ce que tu veux savoir ?

Je fus contente d’apprendre que bientôt mes pensées resteraient miennes, mais pour l’heure, je dû faire un choix. Isoler toutes mes questions pour n’en choisir qu’une.

- Comment s’appelaient nos parents ?

- Papa s’appelait Elros et maman Moïra.

Je gravai ces deux prénoms dans ma mémoire, et les associai aux personnes sur la photo que je tenais toujours dans ma main.

- Autre chose ?

Evidemment. J’avais constaté une grande différence entre mon frère et moi. Lui avait la peau glacée, il se déplaçait rapidement, se nourrissait de sang, tandis que moi, je n’étais qu’une humaine. Rien de plus, rien de moins.

- Toutes ces différences entre nous… Comment… Pourquoi ? Si je suis une hybride, pourquoi je ne te ressemble pas davantage ?

Ethan sourit, visiblement amusé de ma question.

- Je ne trouve pas ça drôle ! répondis-je, vexée.

- Tu as quitté le monde magique très jeune, Abby. Ton corps s’est modifié rapidement, pour s’adapter dans l’autre univers. Maintenant que tu es ici, tu vas redevenir une véritable hybride. Tiens, regarde.

Il déboutonna quelques boutons de sa chemise et ôta de son cou un médaillon que je n’avais pas remarqué jusqu’ici. Il l’ouvrit et me montra son contenu. C’était une photo de maman et moi. Je ne devais pas avoir plus de quelques jours, et je remarquai aisément mes traits d’hybride. Ma peau était plus blanche et plus lumineuse que maintenant. J’avais de petites oreilles pointues et mes yeux, bleus aujourd’hui, étaient à l’époque de la même couleur dorée que ceux de mon frère… Si je n’appréciai pas celle que j’étais en tant qu’humaine, je dû cependant admettre que j’avais été un bien joli bébé. Je fus émue qu’Ethan partage cette photo avec moi. Il le remarqua et passa le médaillon autour de mon cou. D’un geste de main sur sa joue froide, je le remerciai pour ce cadeau.

- Cette fois, ça suffit. Tu as eu assez d’émotion pour aujourd’hui. Si tu as encore des questions, garde-les pour plus tard. Dors, je veille sur toi.

Le ton de sa voix ne laissait place à aucune négociation. Je m’emparai alors de la main de mon frère pour la serrer contre moi, et il ne me fallut qu’une seconde pour sombrer dans un lourd sommeil.

Chapitre 4 : Révélations


Passé une dizaine de minutes, je remarquai enfin que les rayons du soleil filtraient à travers les arbres. L’air n’était plus humide, il faisait même plutôt chaud. Je relevai alors brusquement la tête, tentant d’apercevoir l’astre jaune.

- Mais… le temps ?

Ethan menait la marche, et je l’entendis étouffer un rire.

- Nous sommes sur le territoire elfique, Abby.

Il avait dit cela comme si j’étais censée comprendre. Devant mon silence éloquent, Ethan se sentit obligé de préciser :

- Valérian a un pouvoir un peu particulier. Sur son territoire, ses pensées contrôlent pas mal de choses… Y compris la météo. Tu imagines donc quel peut-être son état d’esprit, n’est-ce pas ?

Et comment ! Nous venions de traverser un rideau de pluie et d’échapper de justesse à la foudre. Mieux valait pour moi de rester à l’écart de Valérian pendant quelques temps. 

- Oui, je vois…

Nous marchâmes encore un moment, dans un silence qui devint très vite pesant. Quand Ethan allait-il se décider à me parler ?

- Deux minutes Abby… Laisse-moi le temps de chercher mes mots s’il te plait.

Je m’arrêtai brusquement, complètement abasourdie par ce qu’il venait d’énoncer.

- Je n’ai rien dit, Ethan !

Il se retourna pour me faire face, et me gratifia de ce fameux sourire en coin qui se voulait à la fois tendre et complice.

- Tu lis dans les pensées, c’est ça ?

Je prononçai ces mots dans ma tête, en faisant bien en sorte de garder mes lèvres scellées. J’attendis une réaction de la part de mon ami. S’il s’avérait qu’il était télépathe, il me répondrait par l’affirmative. Si non, je ne risquai pas de paraître ridicule, étant donné que je ne faisais qu’exprimer cette question dans mon esprit.

- En effet. Mais ce n’est pas un talent exceptionnel. Tu es capable d’en faire autant.

Ethan me dévisageait toujours, ses prunelles dorées guettant ma réaction. Je me mis alors à rire nerveusement. Il était donc télépathe, je n'étais pas aussi folle que je le pensais...

- Très drôle ! Allez, arrête de te moquer de moi. Explique-moi plutôt ce que je fiche ici.

- Je ne plaisante pas. C’est sérieux. Tu peux aussi lire dans mes pensées. Il faut juste que tu apprennes…

Mon rire disparu aussitôt pour laisser place au scepticisme. Ethan devenait de plus en plus louche. A tel point que, même si j’avais toujours pensé être une personne bizarre, j’étais forcée de constater que lui, l’était plus que moi.

- Bon, ok… On verra tout ça plus tard. Viens, je t’emmène chez moi, on pourra parler calmement, et promis, tu auras toutes les réponses à tes questions. Tu viens ?

Il me tendit une main que j’hésitai à attraper. Mais après tout… Ethan venait de me sauver la vie. Qu’il dise des choses étranges sur un pouvoir que je n’avais manifestement pas, ne faisait pas de lui quelqu’un de dingue. Tendant le bras, je m’emparai alors de sa main glacée, et nous reprîmes notre marche. Seul le bruit de nos pas sur le sol jonché de branches brisait le silence. Je me demandai à quoi son esprit était occupé. Il semblait tellement perdu dans ses pensées, tellement malheureux soudainement, que je serrai plus fort sa main dans la mienne, comme pour l’épauler silencieusement.  Notre randonnée forestière prit fin lorsqu’Ethan s’arrêta face à une sinistre cabane en bois, couverte de lierre et de mousse, que je n’avais pas remarqué, tant mes yeux étaient occupés à contempler l’homme qui se tenait à mes côtés.

- Et voilà ! Nous sommes arrivés.

Il lâcha ma main et s’avança vers l’entrée de la petite chaumière. Il poussa la porte, et avec un grand sourire, m’invita à entrer à l’intérieur. Un peu réticente, je m’attendis à devoir éviter les centaines d’araignées et insectes en tout genre qui devaient loger dans cet endroit lugubre. Mais il n’en fut rien. Je découvris avec surprise un charmant petit intérieur, propre et rangé. Deux rocking-chairs étaient installés face à un feu qui ronflait légèrement dans une cheminée de pierre. Un peu en retrait, une vieille cuisinière à bois,  une table et quatre chaises, et au fond, un simple lit recouvert d’un plaid en laine.

- Ce n’est pas grand luxe, mais c’est chez moi.

Je détaillai alors Ethan. Sa chemise de marque et son pantalon impeccable étaient tout sauf en adéquation avec les lieux. Cependant, je n’étais pas là pour juger la façon de vivre de mon ami. J’attendais tout simplement qu’il m’explique qui j’étais réellement.

- Installe-toi, me dit-il en me montrant un rocking-chair, tu veux boire quelque chose ?

- Non, merci. Je voudrais seulement des explications, je pense que j’ai assez attendu.

Ethan s’installa sur un fauteuil, et je fis de même.

- Que t’a dit Valérian exactement ?

- Il m’a expliqué que les hybrides étaient nés d’une union entre une humaine, mordue par un vampire durant sa grossesse, et un elfe. Que les elfes avaient déclarés la guerre aux hybrides après que Valérian ait mordu l’un des leurs, et que j’étais moi-même une hybride, que j’étais la seule à pouvoir faire changer les choses…

- Hum…

Ethan s’adossa contre le dossier du fauteuil et contempla un moment le feu avant de se redresser brutalement, agacé.

- Il ment, hein ?

J’espérai, au plus profond de mon âme, qu’Ethan allait m’annoncer que Valérian m’avait dit n’importe quoi. Qu’il s’était trompé de personne, qu’on allait me renvoyer chez moi, et que j’allai reprendre ma petite vie bien tranquille. Mais en avais-je seulement envie, d'une vie sans un peu d'action ?

- Il ne t’a pas menti. Tu es une hybride. Tu es… comme moi…

J’eu le souffle coupé. Ethan ! Un Hybride ? J’aurai du m’en douter, pourtant. Mon visage dévasté le fit sourire, mais il se reprit rapidement, croisa ses mains sur ses genoux et continua ses explications.

- En réalité, tu es ma sœur, Abby.

Trou noir. J’eu soudain l’impression de quitter mon corps, comme si j’assistai à toute cette histoire de l’extérieur, en tant que simple spectatrice, et surtout pas en étant l’actrice principale de cette comédie de mauvais goût. J’ouvris la bouche plusieurs fois, essayant tant bien que mal de parler, mais le choc de la nouvelle me laissait sans voix.

- Je t’ai suivi toute ta vie. J’ai veillé sur toi dans l’ombre. J’ai outrepassé les règles pour toi. Tu es ma petite sœur… Nous avons les mêmes parents…

Je ne répondis toujours pas. Mon cerveau eu du mal à emmagasiner ces lourdes informations. Je me rappelai alors que Valérian avait précisé que mes parents étaient des leurres. Ethan parlait alors forcément de nos parents génétiques.

- Mes… parents…

- Les personnes que tu as toujours connues, celles qui t’ont aimé toutes ces années, sont aussi tes parents. Valérian ne voit pas les choses comme ça, mais il est spécial, tu comprendras plus tard. Tes parents sont au courant de ton histoire. Ils savaient qu’un jour ils devraient disparaître sans te faire d’adieux. Ils ont accepté ces termes du contrat, et t’ont élevé comme leur propre enfant.

« Contrat » ! Pour quoi me prenaient-ils tous au juste ?

- Pardon, je n’aurai pas du employer ce mot, s’excusa mon frère qui venait de lire mes pensées. Tes parents… Nos parents, ont été éliminés lorsque les elfes ont appris qu’ils seraient les géniteurs de celle qui risquait de changer le cours de leur petite vie tranquille. Toi. Ils ne veulent surtout pas d’entente avec les hybrides, cette guerre leur plait, ils veulent désormais la victoire.

J’avais de plus en plus de mal à comprendre. Les hybrides, que je prenais pour les méchants de l’histoire, ne seraient pas aussi mauvais ? Et les elfes, que j’avais toujours imaginés innocents et bons, seraient en réalité des fauteurs de trouble ?

- Oui, c’est à peu près ça…

- Ethan, pitié, cesse d’entrer dans ma tête ! J’ai besoin de réfléchir.

A ces mots, je me détournai d’Ethan et me précipitai au dehors. De chaudes larmes coulèrent sur mes joues. Je pris tout à coup conscience que toute ma vie n’avait été que mensonge. Le vent chaud qui me fouettait le visage ne faisait qu’attiser ma douleur. L’endroit était pourtant féérique et aurait dû avoir le don de me calmer. La forêt était belle, un véritable havre de paix. Mais cela ne suffit pas. Ethan me rejoignit et m’enlaça. Je voulu me débattre, mais son corps froid contre le mien, bouillant, me fit du bien. Comment pouvais-je être une hybride, alors que je ressemblais en tout point à une banale humaine. Mon cœur battait, mon corps était chaud,  je ne me nourrissais pas de sang…  Je gardai ces questions pour plus tard, et fini par m’abandonner contre l’épaule de mon frère. 

- Ca va aller, je te le promets. 

23 juil. 2012

Chapitre 3 : Explications


Ce devait être le fameux Valérian. Je m’empressai de ramasser le livre et le reposai à sa place, les mains tremblantes.

-  Tu l’auras deviné, je suis Valérian. Me dit-il d’une voix majestueuse. Viens t’asseoir je te prie, nous devons discuter.

Je m’exécutai, m’asseyant sur une vulgaire chaise en bois qui, à moins que ma mémoire ne me fasse défaut, ne s’était pas trouvée là lorsque j’étais entrée dans la pièce.

- Bien. Tu dois avoir énormément de questions à me poser, j’imagine ?

Ses coudes reposaient sur le bureau, les mains jointes devant son menton en galoche. Il me regardait intensément, attendant que ma langue se délie. Il m’impressionnait, et à nouveau je restai muette devant la créature. Il se leva soudain, souple et agile, et se dirigea vers la bibliothèque. Il revint quelques secondes plus tard avec l’épais volume que je tenais dans les mains avant qu’il n’arrive.

- Commençons par ça. Je suppose que le terme « hybride » t’a posé quelques problèmes ?

- En effet.

Je retrouvai la parole. J’allai enfin avoir des réponses à mes questions. Ma voix avait été plus sèche que ce que j’avais souhaité, et j’observai l’individu avec méfiance, appréhendant sa réaction. Il ne souleva pas mon ton revêche et commença ses explications par des questionnements.
 
- A quoi te fis-je penser ?

Si sa question ne m’étonna pas, en revanche je craignis de lui dévoiler mes pensées et de l’offenser. Je réussi tout de même à balbutier :

- A un elfe… ou un vampire...

J’hésitai encore entre ces deux créatures, pourtant différentes à l’extrême, que j’avais toujours pensées imaginaires. Il me toisa de son regard perçant, et sa bouche afficha un rictus, le même que celui qu’avait affiché Hector quelques minutes auparavant.

- Pour tout t’avouer, je suis les deux. Ce qui explique le terme « hybride ».

Je m’enfonçai dans ma chaise. Son apparence ne m’avait donc pas trompée, pourtant je n’arrivai pas à le croire. Moi, la jeune lycéenne ordinaire, voilà que je me trouvai devant un être extraordinaire. Comment étais-je arrivée ici déjà ? Et pourquoi ?

- Il faudra que je pense à remercier Ethan pour sa rapidité d’exécution. Après tout, ce sera peut-être plus rapide que prévu…

Je me levai d’un bond, horrifiée, et me postai derrière la chaise, prête à m’en servir comme bouclier si besoin était. Allait-il me mordre et boire mon sang, comme le faisaient tous les vampires ? Il se redressa à son tour, levant les bras en signe d’apaisement.

- Tout va bien ! me dit-il. Désolé si je t’ai fait peur. N’ai crainte, je ne te ferai aucun mal.

- Que me voulez-vous alors ? dis-je d’une voix paniquée.

- Assied-toi, je vais t’expliquer. Mais il faut que tu cesses de me craindre.

La curiosité pris le pas sur la peur qui me tétanisait jusque-là. Tout en soutenant son regard, je repris ma place, plus méfiante que jamais.

- Bien, dit-il en me regardant d’un air grave, reprenons. La raison pour laquelle tu es ici est… compliquée. Pour que tu comprennes, il faut que je te raconte mon histoire, alors écoute bien.

Valérian inspira un grand coup et ferma les yeux, comme si ce qu’il s’apprêtait à me raconter lui coûtait énormément.

- Ma mère, Elenna, était une humaine éperdument amoureuse de mon père, Galdor, et cet amour était réciproque. Mon père était un elfe, et malgré les réticences de sa famille, il ramena Elenna ici, à Dankaria, avec la ferme intention de l’épouser. Ils se marièrent donc, et cinq mois plus tard, je pris place dans le ventre de ma mère. Un jour elle fit une mauvaise rencontre… Un vampire assoiffé de sang réussit à s’introduire dans le royaume, et se rua sur elle. Mon père parvint à anéantir le vampire, mais le mal était fait. Ma mère fut mordue, le venin se répandit dans ses veines… et dans mon corps à l’état de fœtus. Mes parents ne s’aperçurent pas dès ma naissance que j’étais un hybride. Personne n’avait jamais été confronté à cette situation. Je suis né avec l’apparence d’un elfe. Oreilles en pointe, aura pure et peau lumineuse… Mais rapidement mes traits de vampire se sont développés. Mes yeux prirent peu à peu une couleur rouge, et mon attirance pour le sang s’éveilla vivement. Les elfes avaient toléré la présence de ma mère, désormais vampire, au sein de leur peuple, à condition qu’elle vive recluse dans une petite chaumière au fond du village. Mon père se refusa de l’abandonner, et c’est en famille que nous avons vécu mes premières années de vie. Ma mère était un vampire particulier à cette époque. Si elle avait constamment besoin de sang pour étancher sa soif, elle savait parfaitement se contrôler en présence d’humains ou d’autres créatures dont le cœur battait. Si elle savait se contrôler, en revanche, le jeune hybride que j’étais n’en était pas capable. Un jour je fis l’horrible erreur de laisser mon côté vampire prendre le dessus… Un garçonnet qui se voulait courageux s’est approché de moi. L’odeur de son sang était délicieuse, envoûtante. Je fus porté par mon instinct, et l’ai mordu. Je l’aurais probablement vidé de son sang si ma mère n’était pas intervenue. En apprenant la nouvelle, le peuple elfique décida de bannir ma famille, me jugeant trop dangereux, et nous avons trouvé refuge dans les montagnes de Shalouk. Quelques années plus tard, une nouvelle famille nous y a rejoints, et c’est là que j’ai rencontré celle qui deviendrait ma femme, Trinity. Il faut savoir que les hybrides ont également hérité de l’immortalité des vampires, ce qui explique qu’à ce jour je sois toujours présent, tout comme ma mère. Mais nous avons la chance (ou la malchance ?) de pouvoir nous reproduire, comme les elfes...    

Valérian fit une pause dans son récit, et ses yeux prirent tout à coup une couleur terne. Il ferma les yeux et soupira. Je n’osai pas bouger. En quoi cela me concernait-il ?

- Les elfes ne nous ont jamais pardonné, à nous, hybrides, nos faiblesses vampiriques. Certains de notre espèce ont « dérapé » à plusieurs reprises… Ceux-là ont été détruits sans délai, mais cela n’a pas suffis à calmer les esprits. Si tu es ici ce n’est pas un hasard. Tu es l’élue. Les elfes sont aveuglés par la haine et ne nous laissent aucun répit. Toi seule peux les calmer et leur faire entendre les nouvelles règles que nous souhaitons adopter pour ne plus commettre pareille erreur. Leur sang coule en nous. Nous ne sommes pas de simples vampires assoiffés de sang. Nous avons la force, et le goût du sang des vampires, certes, mais nous avons hérité notre sagesse et notre physique des elfes. Nous utilisons des alternatives pour nous nourrir. Seuls quelques hybrides naissent « anormaux » et n’ont pour obsession que le sang elfique.

Je regardai Valérian, mon visage ne laissant paraitre aucun sentiment. En fait, j’essayai d’encaisser la nouvelle de ces révélations. Toutes ces histoires d’elfes et d’hybrides me dépassaient. Je ne me sentais pas concernée, c’était leurs histoires, pas les miennes. Malgré tout, une colère insoupçonnée commençait à s’emparer de moi.

- Voilà un bref exposé de la situation Abigaïl…  Il faut que tu nous aides, enfin, si tu acceptes.

- Mais pourquoi vous aiderai-je vous, au lieu de les soutenir, eux ? Vous avez une part maléfique en vous. Eux ne sont que les victimes d’un fardeau qu’ils n’ont pas choisi !

Ma colère explosait, je ne savais pour quelle raison. Je n’étais ni elfe, ni hybride. Je n’avais pas à prendre partit pour l’une ou l’autre espèce. Je voulais juste rentrer chez moi, et oublier tout ça. Valérian me dévisagea, surpris.

- Je ne pensais pas que ce côté-là ferait surface si tôt. dit-il plus pour lui-même que pour moi.

- De quoi parlez-vous ?

- Abigaïl, n’as-tu pas entendue ce que je t’ai annoncé tout à l’heure ? Tu es l’élue !

Je le fixai, incrédule.

- La prophétie annonçait notre existence, la guerre entre les elfes et les hybrides, et la venue au monde d’une jeune fille, hybride elle aussi, destinée à réconcilier les deux clans… En cas d’échec, nous mourrons tous… Nous finirons par nous entre-tuer parce qu’incompris, et Dankaria sera à la merci des úmea. Tes parents n’étaient que des leurres… Tes vrais parents sont décédés à ta naissance. Détruits, serait le terme plus exact. Nous avons réussi à te sauver, et nous t’avons protégée en te confiant à une famille humaine. Tu devais conserver l’ignorance de ta véritable identité. Sans cela ils t’auraient retrouvé et t’auraient détruite également. Bien sûr nous av…

- Attendez !

Je secouai la tête pour chasser le nouvel accès de stupeur qui menaçait de s’emparer de moi. Mon cerveau fonctionnait enfin à plein régime. Tout allait trop vite, et quelque chose pris possession de mon esprit.

- Comment ça hybride ? m’emportai-je. Je ne suis pas une… une…  chose comme vous ! Je ne bois pas de sang ! m’écriai-je, horrifiée.

Les explications de Valérian s’emblaient s’assembler comme un puzzle dans ma tête et je me fis rapidement un schéma mental de la naissance des hybrides. Puis,  retrouvant ma capacité de réflexion, je regardai mon hôte avec vigilance. Si j’avais eu le pouvoir de le fusiller du regard je l’aurai fait. C’est alors que son bureau s’enflamma. Un cri strident retenti, mon cri, et je reculai près de la fenêtre. Valérian éteignit les flammes d’un banal revers de main, sous mon visage déconcerté. Il avait conservé son calme le temps d’éteindre l’incendie, mais à présent je le sentais furieux. Il posa enfin son regard brulant sur moi, et marmonna des paroles que je ne compris pas. Il était plus enragé que jamais. J’avais beau murmurer que j’étais désolée, même si je n’y étais pour rien (n’était-ce pas ?), sa colère ne diminuait pas. Elle emplissait à mesure qu’il se rapprochait de moi. Je n’avais aucun endroit où me réfugier, je savais qu’il me rattraperait. Je fermai les yeux, résignée, attendant ma mort et priant pour qu’elle soit rapide et sans douleur, lorsque j’entendis une porte s’ouvrir à la volée. Arrivant avec une vitesse stupéfiante, Ethan se plaça devant moi, bras écartés pour me protéger de l’hybride, et émit un grognement sourd. Valérian était effrayant, ses yeux rouges avaient repris leur intensité et il grogna à son tour à l’arrivée de mon sauveur.

- Laisse la tranquille, Valérian.

Il n’y avait pas la moindre trace de peur dans l’intonation d’Ethan. Au contraire, elle se voulait menaçante.

- Valérian… insista Ethan.

- Tu ne devrais pas être ici. déclara l’hybride d’une voix douteuse.

- Tu ne m’as pas laissé le choix. Et rappelle-toi, tu as juré de ne pas t’emporter. Tu savais qu’elle risquait de mal réagir !

Valérian abandonna sa posture d’attaque, et après m’avoir lancé un regard dégouté, retourna s’asseoir derrière son bureau.

- Très bien. Emmène-la. Je pensais effectivement qu’elle aurait une réaction de ce genre, mais pour autant je ne suis plus en mesure de lui parler sans avoir envie de la tuer. Explique-lui pour ses parents humains et... dis-lui qui elle est en réalité. Elle ne m’a pas laissé le temps de terminer.

Sans attendre, Ethan m’attrapa le bras et m’entraina dans ce couloir sombre que je détestai tant. Nous retrouvâmes rapidement le hall, après avoir descendu l’escalier de marbre. Mon cerveau était engourdi. Je n’avais qu’une hâte : qu’Ethan m’explique ENFIN ce que je faisais en ces lieux si terrifiants et hostiles. Tandis qu’il ouvrait la porte en chêne sans aucune difficulté malgré sa taille imposante, je jetai un coup d’œil à l’extérieur. C’était le déluge ! Je fus surprise de voir la foudre exploser à quelques mètres de nous.

- On ne va quand même pas sortir par ce temps-là ?

Ethan grogna et, sans m’avertir, me hissa sur son dos avec une facilité déconcertante. Je frissonnai sous la froideur de ses mains pendant qu’il se jetait au dehors, et le hurlement qui sortit de ma bouche fut couvert par un coup de tonnerre assourdissant. Il courrait si vite que je n’aperçus pas ce qui se dressait sur notre chemin. Ethan ralentit enfin l’allure après plusieurs minutes, et je découvris alors une forêt où l’épais feuillage des arbres nous protégeait de la pluie diluvienne. Au bout d’un moment il me posa doucement à terre, et nous fîmes quelques pas à mon allure, nous enfonçant un peu plus dans les bois sombres. 

Chapitre 2 : Hybrides


Je rouvris les yeux et regardai Ethan avec surprise. Ce dernier affichait toujours son sourire bienveillant. Je frottai mes mains moites l’une contre l’autre, comme si ce simple geste pouvait ôter tout mon stress.

-  Ça va ? me demanda Ethan avec inquiétude. Tu es blanche comme un linge.

Je voulus répondre quelque chose, mais là encore, les mots refusèrent de sortir. Je déglutis plusieurs fois, inspirai profondément pour me calmer, et je réussis enfin à articuler une phrase.

- Où m’as-tu emmenée ?

- Nous sommes à Dankaria.

Ma grimace le fit rire. Un rire doux et cristallin qui m’envoutait. Je me sentis terriblement idiote à rester si molle d’hébétude.

- Tu es spéciale, reprit-il, c'est difficile à expliquer mais... tu as… un don.

- Mais qu’est-ce que tu racontes ?

Je commençai à me poser de sérieuses questions. Et si tout cela n'était que le fruit d'une caméra cachée pour une émission de télévision, ou un truc du genre ? Cependant, j'étais forcée d'admettre que le regard d’Ethan était grave, et que manifestement, il ne s’agissait pas d’une mauvaise blague…

- Ecoute, ce n’est pas à moi de t’annoncer… qui tu es. Suis-moi, on va au château.

Je ne compris pas comment nous étions arrivés ici, par quel moyen, et, surtout, pour quelle raison son visage était devenu si sérieux dès qu’il m’eut demandé de le suivre. Nous parcourions la vaste prairie à vive allure et une légère brise faisait onduler mes boucles chocolat. Mon souffle s’accélérait à mesure qu’il pressait le pas, et moi je le suivais, portée uniquement par mon incontrôlable et inexplicable attirance pour lui. Il avait parlé d’un château. Je regardai autour de moi, mais rien n’indiquait qu’un édifice aussi colossal se trouvait autour de nous. Comme s’il avait lu dans mes pensées, Ethan s’arrêta et se retourna pour me faire face. Je ne réussis pas à m’arrêter à temps, et je trébuchai contre lui.

- Oups. Pardon.

Sans même relever ma maladresse, ses yeux d’or me dévisagèrent gravement.

- Je sais que tout cela te semble… étrange. Je ne voulais pas que tu viennes ici, pas toi, mais Il m’a obligé. Il a insisté en disant que tu nous serais d’une aide précieuse pour…

Il ne termina pas sa phrase et son regard changea soudain. A présent il semblait triste et soucieux. J’avais l’impression que ses pensées étaient parties loin d’ici. J’attendis, silencieuse, qu’il reprenne ses esprits. Dans ma tête, mes pensées se bousculaient aussi. Comment ça, pas moi ? Ethan ne me connaissait que depuis la veille ! Du moins, je pensais de ne l'avoir jamais vu avant cela.

- Désolé, dit-il enfin. Nous sommes arrivés. Je vais devoir te laisser, je n’ai pas le droit de te suivre ici…

La peur s’était emparée de moi. Il voulait me laisser seule, dans un endroit que je ne connaissais pas. Qu’il s’éloigne me rendait malade. Tant par crainte du lieu inconnu dans lequel je me trouvais, que par le fait de le voir loin de moi. Je me sentais bête de ressentir une telle chose alors que je ne le fréquentais que depuis quelques heures, mais il représentait une certaine sécurité. Il m’attirait plus que de raison, et je ne pouvais lutter contre lui. Il me regarda tendrement, prit ma main dans la sienne, et me murmura un « à bientôt » dans le creux de l’oreille. Je sentis mes jambes fléchir, mais je me ressaisis en le regardant s’éloigner.

- Par ici, me dit une voix à ma gauche.

Je sursautai. Je ne m’étais pas rendue compte de la présence de quelqu’un d’autre. En observant l’être qui se trouvait à mes côtés, je retins un cri. C’était un homme deux fois plus grand que moi, les cheveux noirs coupés courts, les oreilles en pointes, semblables à celles des elfes. Sauf que ce n’était pas un elfe. Lui semblait… menaçant, maléfique. Il était loin de la pureté rassurante des elfes. Ses yeux étaient d’un rouge sang, sa peau blanche comme la craie. Il avait une voix rauque, comme s’il n’avait pas parlé depuis longtemps. Son regard me fit frissonner. Sa bouche, aussi rouge que ses yeux, prit la forme d’un rictus qui me donna des sueurs froides. Il se retourna lentement, et je suivis son regard. Il leva les mains, ferma les yeux, et prononça des paroles que je ne compris pas, dans une langue qui m'était étrangère. J’étais terrorisée à présent. Je voulus m’enfuir, courir loin de cet être abominable, mais j’étais pétrifiée. C’est alors que je vis un mur se dresser devant nous. Il semblait apparaitre comme par magie, dévoilant brique après brique. Je reculai de quelques pas. Ce que j’avais pris pour  un mur était en fait… le château ! Il se dressait à présent devant moi, impressionnant.

- Suivez-moi.

« L’homme Elfe » ouvrit une lourde porte en chêne. Nous pénétrâmes dans un vaste hall éclairé par de multiples chandelles. Tout en marchant, il s’adressa à moi.

- Pardonnez mon impolitesse, je ne me suis pas présenté. Je m’appelle Hector.

Sans mot dire, je marchai derrière lui, et constatai que ses pas étaient tellement fluides qu’il semblait flotter au-dessus du sol en pierre brute. Au fond du hall se trouvait un escalier de marbre. Le dénommé Hector m’invita alors à passer devant lui. Je n’étais pas confiante de le savoir désormais dans mon dos, mais je craignais tellement qu’un refus ne me coûte la vie, que je préférai obéir. En haut des marches il tendit son bras droit pour m’indiquer de suivre un couloir étroit et faiblement éclairé. Mes yeux regardaient partout, mes sens étaient en alerte. Nous arrivâmes devant une petite porte de bois. Hector resta derrière moi mais, d’un geste de la main, ouvrit la porte sans même la toucher. Je le regardai, ébahie, mener la marche à nouveau dans un autre couloir, plus sombre encore que celui que nous venions de quitter. La lumière des torches suspendues était bleue, rendant la silhouette d’Hector fantomatique. Nous bifurquâmes à gauche et atterrîmes dans une vaste salle circulaire. Au milieu de la pièce trônait un haut et élégant fauteuil de velours rouge. En l'observant de plus près, j'aperçus une multitude de rubis incrustés dans le bois sombre, et la lumière que laissait filtrer la fenêtre sur la gauche, faisait étinceler chaque pierre précieuse. Face à cette imposante assise reposait un bureau massif, aux pieds aussi larges que ceux d’un éléphant. Au fond se tenait une bibliothèque remplie de vieux livres, et sur la droite, des tableaux et des tapisseries qui semblaient dater d’une époque révolue. Je soufflai, soudain soulagée de retrouver la lumière du jour.

- Valérian va arriver, prenez place en l’attendant. 

Il m’invita à m’asseoir sur un des petits poufs rouges situés sous la fenêtre. Hector s’éclipsa avant que je n’ai eu le temps de me retourner vers lui. Je n’avais pas envie de m’asseoir. Mes jambes me portèrent vers la bibliothèque et je pris un livre au hasard. Il était épais, abîmé.

- « Lois et magie des hybrides. »

Magie ? Hybrides ? Je n’eus pas le temps d’ouvrir le volume que je tenais entre les mains. Une forme humaine se tenait derrière moi, je la sentis avant de la voir... Lorsque je découvris le visage du nouveau venu, le livre m’échappa et tomba sur le sol dans un bruit sourd. Il avait la même taille qu'Hector, mais dégageait une prestance incomparable. Ses yeux étaient également rouges, mais ses cheveux étaient blonds et lui arrivaient aux épaules. Il portait une toge noire, et je remarquai, à son index droit, une troublante chevalière. 

- Bonjour Abigaïl.